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Retenue collinaire La Féclaz – Communiqué d’Extinction Rebellion Chambéry

Précédent article sur le sujet : https://bulletintransition73.fr/enquete-publique-retenue-collinaire-ca-chauffe-aux-deserts-73/

 

 

À l’attention de M. le commissaire Christian PIGNOL

Le 27/01/2020,

OBJET : ENQUÊTE PUBLIQUE – RETENUE COLLINAIRE À LA FÉCLAZ

Monsieur le commissaire enquêteur,

Nous avons récemment pris connaissance du dossier de l’enquête publique concernant le projet de canons à neige et de retenue collinaire à la Féclaz, et il nous semble important de vous transmettre un certain nombre de remarques, que nous vous prions de joindre au registre de l’enquête publique.

UNE PRÉSENTATION BIAISÉE AUX ÉLU·ES ET À LA POPULATION

Il est à noter en premier lieu que, comme souvent dans ce type de projet impopulaire, sa progression se fait à marche forcée. L’avis des populations n’est sollicité qu’au moment où le projet semble être suffisamment avancé pour ne plus être empêché : ainsi, l’enquête publique se clôture à la fin janvier pour un début des travaux prévu en avril.

La séance de présentation du projet au vote des membres du Syndicat Mixte des stations des Bauges témoigne à elle seule de son caractère controversé et potentiellement problématique pour l’obtention de subventions.

Sur une vidéo filmée lors de la séance (https://www.youtube.com/watch?v=mr9FHlCddM0), la formule retenue pour qualifier le projet, « Plan d’eau mixte neige de culture, pastoralisme et récréatif », est une volontaire déformation de la réalité, non seulement en ce qui concerne le pastoralisme, mais également sur l’usage récréatif qui est avancé. Le dossier de l’enquête le montre d’ailleurs à diverses reprises, notamment avec la mise en place de panneaux mobiles avertisseurs de danger, l’interdiction de baignade et de canotage – on est loin ici d’un espace de loisirs sécurisé – et la perte évidente de surfaces de pâturage.

Il est intéressant d’analyser l’usage de la sémantique dans la présentation à la population de ce type de projet, entre stratégie d’évitement et formules étudiées. Ainsi, on emploie à loisir le terme de « neige de culture » à la place de « neige artificielle », le concept d’un « plan d’eau mixte » plutôt qu’un lac artificiel, alors même que l’on pourra constater que le terme « mixte » est fortement galvaudé. Il s’agit donc clairement d’un lac artificiel servant à alimenter des canons à neige artificielle, un vocabulaire moins vendeur auprès des décisionnaires comme des populations pour qualifier un aménagement prétendument durable.

DURABILITÉ ET VIABILITÉ ÉCONOMIQUE EN QUESTION

Le président du Syndicat Mixte des Stations des Bauges invoque la préservation de la « ressource neige » durant les dix ou quinze prochaines années comme argument phare du projet. Or, au vu des changements climatiques à l’œuvre ces dernières années, nous ne pouvons parler en aucun cas d’un projet réellement durable. Les projections mises en avant établissent une augmentation de température d’au moins 2°C au niveau mondial d’ici 2050.

Ces données sont utilisées comme base de calcul pour la production de neige artificielle à la Féclaz, sans prendre en compte leur caractère hétérogène et hautement variable. Ainsi, les observations actuelles amènent à penser que cette augmentation sera beaucoup plus importante en montagne et en particulier dans les Alpes.

Les coûts d’exploitation du projet n’ont pas été présentés (consommation électrique des canons, entretien…) et risquent à terme de peser dans le budget des communes à mesure que le réchauffement s’aggrave.

Certain·es élu·es mettent en avant la préservation de 600 emplois sur le plateau pour défendre ce projet. Il aurait été intéressant d’avoir à disposition le mode de comptage de ces emplois liés à l’activité ski sur le plateau (principalement ski de fond) et réellement impactés par le manque d’enneigement sur les périodes critiques. De plus, ce type de projet ne solutionne pas la question au-delà d’une dizaine d’années, ce qui n’incite pas les emplois en tension à s’adapter au changement et risque ainsi de générer des situations dramatiques à l’arrivée de saisons d’enneigement faible voire inexistant.

Il ne s’agit donc pas là d’un projet de transition vers un nouveau modèle plus adapté mais bien d’un modèle « business as usual » jusqu’à un seuil de rupture brutal. L’utilisation d’argent public pour ce type de projet devrait être questionnée, a fortiori dans le cas d’un budget aussi conséquent que 3,8 millions d’euros. Il serait préférable qu’une vraie réflexion de fond soit engagée sur les modifications à mettre en œuvre pour préserver le tissu social, économique et écologique du plateau.

PROBLÉMATIQUE HYDROLOGIQUE

On constate ces dernières années une modification importante des précipitations au niveau mondial entraînant sécheresses intenses ou inondations en fonction des périodes et des zones géographiques. La question de la ressource en eau est devenue une préoccupation fondamentale et ne doit pas être traitée avec approximation et légèreté. À cause de l’évaporation inhérente au stockage de l’eau et au processus de création de neige artificielle, environ 30% de l’eau pompée sortira du soi-disant « circuit fermé » : une quantité non négligeable d’environ 4000 m 3 sera donc perdue chaque année. Dans le cadre de cette enquête, il est à noter que le CISALB fait plusieurs remarques :

« Des erreurs manifestes de données de référence amènent à des conclusions plus optimistes que la réalité »

« Les préconisations associées à ce classement sont : le gel des prélèvements et la surveillance de l’évolution du bilan ressource-besoins »

« il n’est nullement fait référence aux modalités de contrôle des débits de la Doriaz, et succinctement aux aménagements nécessaires du puits La Cha pour asservir le pompage aux hauteurs d’eau. »

« Le PGRE validé en décembre 2016, classe le plateau de la Leysse en équilibre précaire. Les années 2017-18 laissent présager d’un possible basculement en déséquilibre quantitatif dans les années à venir »

On en déduit une modélisation hydrologique imprécise dans laquelle les évolutions climatiques ne peuvent être que difficilement prises en compte. Il est troublant de constater que malgré les remarques importantes de ses techniciens, le CISALB termine par un avis positif sur le projet. On ne peut que déplorer qu’un organisme réellement indépendant n’ait pas été sollicité pour rendre un second avis sur un sujet aussi important que celui de la gestion de l’eau.

UNE CONTRAINTE POUR LE PASTORALISME ET L’ENVIRONNEMENT

Comme nous l’avons vu précédemment, la retenue collinaire a été présentée comme un plan d’eau mixte pouvant être utilisé pour le pastoralisme, ce que le dossier nuance fortement. On peut notamment constater que le lac artificiel fera perdre près de 4 hectares de pâturage aux éleveur·ses locaux.

De plus, l’alimentation des animaux sur les pâturages sera fortement perturbée : l’eau stockée du lac sera impropre à la consommation, au risque de perdre le label AOC pour les éleveur·ses, et les plantes habituellement ingérées dans les alentours subiront une repousse tardive, la fonte de neige artificielle entraînant une érosion importante des sols, surtout si elle est damée. Face à cette perte sèche pour les éleveur·ses, il leur sera proposé en compensation l’utilisation d’une nouvelle parcelle qui sera déboisée. Pourtant, aucune allusion à ce déboisement n’est faite dans l’enquête publique, l’impact sur la forêt étant considéré comme « sans incidence ».

D’un point de vue environnemental, il s’agit là encore d’une dégradation flagrante du milieu. Ce projet entraînera la perte d’espaces naturels remplacés par un lac artificiel. Même si la modélisation 3D nous vante un paysage idyllique, qu’en sera-t-il lorsque le lac sera partiellement vide en fin d’été (évaporation et pompage rendu impossible par la sécheresse) ? Quelles en seront les répercussions sur le paysage et la dangerosité des berges ? Il n’est pas non plus fait mention dans l’enquête des risques sur la faune sauvage qui pourrait tenter de s’abreuver dans ce lac.

Il semble pourtant évident que si la consommation de cette eau et la fréquentation des berges n’est pas recommandée pour l’élevage, cela s’applique aussi à la faune sauvage.

EN CONCLUSION

À une époque où les changements climatiques se concrétisent un peu plus chaque année, il serait grand temps que certain·es de nos représentant·e·s sortent du déni de réalité dans lequel elles-ils semblent s’enfermer. Des stations de moyenne montagne ont su prendre conscience des enjeux posés par le changement climatique en privilégiant un développement « 4 saisons » de leurs activités (VTT, parcs naturels, randonnées, formations, parcours découvertes…). Le projet d’aménagement de la retenue collinaire à la Féclaz devrait donc nous questionner sur notre façon d’habiter l’espace, de préserver les sites naturels à une heure où la prise de conscience écologique des populations ne fait que grandir, pour faire le choix engagé du long terme au lieu de l’exploitation « jusqu’au-boutiste » de l’or blanc.

Compte tenu des éléments développés dans ce courrier, nous émettons donc un AVIS DÉFAVORABLE sur ce projet.

Nous vous prions d’agréer nos salutations respectueuses,

EXTINCTION REBELLION CHAMBERY

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